DES PETITS CAILLOUX, CHAPITRE V





« ON RACONTE ENCORE, SIRE, Ô ROI BIENHEUREUX, QUE L’ÉMIR MUSA FUT SAISI DE L’ÉMERVEILLEMENT LE PLUS VIF À LA VUE D’UNE FEMME AUSSI BELLE … »








L’OURSIN FOSSILE


Sur une  étagère, dans une petite vitrine que j’ai achetée à la salle des ventes de la Rochelle, j’ai placé un oursin, un oursin fossile. Il n’a pas de piquants, c’est vrai, mais il est néanmoins tout entier. Il est décoré de lignes de pointillés : Un point à l’emplacement où chaque piquant s’enracinait. Une allure de dentelle, un peu. Je l’ai trouvé dans mon jardin. Il est sorti du sol au tranchant de ma bêche. Combien de milliers d’années ?

L’Aunis abonde en fossiles de coquillages : J’en ai vu vendre sur le marché central, à La Rochelle … De pleins paniers ! Ce sont souvent des ammonites, parfois des bivalves qui ont des allures de grosses palourdes ou de praires. J’en ai de très gros, que je ne saurais identifier.





À vrai dire, je ne sais pas très bien comment je suis arrivé là. Il s’est passé tellement de choses, depuis hier au soir ... Tellement de choses !

C’est vrai, c’est hier au soir que je suis arrivé à La Rochelle, à la nuit tombante. Autour des réverbères, il y avait des halos dans la bruine. Ce temps n’est pas de saison !

Je crois bien que depuis hier au soir, il n’a pas cessé de pleuvoir. Pas vraiment de la pluie, d’ailleurs, plutôt un brouillard, pas très dense, mais chargé de lourdes gouttes. Les joues sont mouillées, les cheveux dégoulinent, l’asphalte brille.


J’ai pris un taxi devant la gare. J’ai demandé que l’on me conduise chez ma voisine. Je ne pouvais pas passer la nuit chez moi, la maison était en travaux, vidée de ses meubles, livrée aux ouvriers. C’était du reste pour cela que je venais à La Rochelle, pour aller à un rendez-vous de chantier, fixé au lendemain après midi. J’avais choisi de venir avec un jour d’avance : Besoin de repos, besoin d’être seul un peu. J’avais téléphoné à Madame Morel pour lui dire que j’arrivais. Elle a une chambre libre. Elle me l’a proposée souvent :-”Si vous en avez besoin ...”



Je monte l’escalier. Cela sent bon la cire, partout, comme autrefois. Les meubles sont robustes, taillés dans l’ormeau de chez nous. Les rideaux et le couvre-lit sont cramoisis, ornés de glands et de pompons, un peu fanés, comme il y en avait chez ma grand’mère. Dans un angle de la pièce, posé près de l’armoire, il y a un carton à chapeau, fermé par un ruban un peu jauni.

La chambre ne doit pas être utilisée souvent. Madame Morel s’est un peu repliée sur elle-même depuis la mort de son mari, il y a plus de vingt-cinq ans. Le lustre est en bois tourné, équipé de trois lampes, mais il donne une lumière qui reste très pâle.

Sur le mur qui fait face à la fenêtre, il y a un tableau, dans un cadre de bois argenté. Pastel très doux, plein de soleil : une fille sur une plage. Fond d’océan calme, ciel clair. Bleus.

Je vous ai dit que j’avais envie d’être seul. C’est raté. Je ne serai plus jamais seul. Je l’ai compris tout de suite. Appelez cela comme vous voudrez ... Vous y croyez, vous, au “coup de foudre”?

Fille blonde, prunelles bleu-porcelaine, pommettes roses, bouche petite, rieuse. Elle porte une robe légère.





Les jeunes filles sportives en portaient de semblables au début du vingtième siècle. On les voyait courir sur les courts de tennis. La plage que l’on voit doit être l’une de celles de l’île de Ré, peut-être celle de Rivedoux ...

Je m’assieds sur la chaise. Non, vrai, vous y croyez, vous, au “coup de foudre” ?

Sous la gorge lisse, on sent le rire naissant. Le visage rayonne de santé. J’imagine la promenade. C’est en avril, ou bien au mois de mai. Retour d’un partie que l’on a gagnée, ou bien que l’on a perdue ... Qu’importe ! Dans les boucles des cheveux courts  passe le vent.


Je m’installe sur le lit, sans éteindre la lumière. Je ne dormirai pas.
Fou ? Oui, certes, si vous voulez dire amoureux fou ... Cela arrive, vous savez, et c’est ainsi que cela arrive : On ne s’y attendait pas. On n’y croyait pas !

Nous avons couru pendant des heures, sur la plage qui sentait le sel et le varech. Nous avons sauté par-dessus les chardons bleus et je crois bien, Annie, que je t’ai embrassée lorsque nous nous sommes écroulés ensemble, au creux de la dune. Oui, j’ai dû t’embrasser et tu riais, tu sentais la lavande et l’absinthe.


Il n’y a plus aucun bruit dans la maison. Il y a longtemps déjà que mon hôtesse a pris ses comprimés (Cela dort si mal, les vieux ! ) J’ai entendu le bruit du verre qu’elle reposait sur le marbre du chevet. Elle a toussoté un peu, puis ... Plus rien. Rien que le bois de l’escalier qui craque un peu, de temps en temps. À la seule qualité du silence, je sais qu’il bruine toujours, dehors. Une voiture passe. Ses pneus chuintent sur la chaussée mouillée.



Mon hôtesse a l’habitude de se lever de bon matin.

- ”Quand le comprimé ne fait plus d’effet.” dit-elle.

- “Mais je ne vous réveillerai pas. Bonne nuit !”

L’horloge sonne dans le salon. Une vieille horloge comtoise. Combien de fois l’ai je entendu sonner ? Je n’ai pas quitté des yeux le pastel. Le sable était chaud sous nos pieds. Les vagues bruissaient, mais nous ne les entendions guère. Tout juste un fond sonore, comme un orgue qui jouerait tout doucement.

Mon hôtesse a quatre vingt sept ans. Et c’est elle qu’un artiste inconnu a représentée sur la plage. Voilà que je suis amoureux d’une fille de seize ans ... Qui a quatre-vingt-sept ans maintenant !



Madame Morel n’a pas les joues trop ridées par l’âge. Elle a gardé les yeux bleus de son adolescence. Ils sont un peu délavés, mais encore rieurs et jeunes. C’est une vieille dame un peu tassée. Elle a pris trop de poids. Elle est très gourmande et elle mange trop. Ses chevilles sont gonflées. Elle ne sort plus guère de sa maison. Elle vit avec un petit caniche abricot que la femme de ménage sort chaque jour sur le trottoir ... Terrible ce caniche ! Adorable, mais terrible. Il a rongé les pieds de toutes les chaises.

Lorsque je veux faire plaisir à Madame Morel, il suffit que je lui apporte une bouteille de champagne.

-”On se fait un kir royal ? ”



C’est clair, me voilà amoureux de ma voisine, amoureux d’elle à seize ans, mais elle en a ... quatre-vingt-sept à présent ! Je me prends la tête dans les mains mais, quelle issue ? Vous pourriez renoncer à un amour, vous ?


En arrivant à La Rochelle, j’étais fatigué, je vous l’ai dit. Mais ce n’est pas ça ...



Je suis amoureux, amoureux vous dis-je, amoureux fou ! Je sais bien ce que c’est que d’être amoureux : Ce pétillement du sang dans les veines... Me sont venus aux lèvres des vers de Baudelaire, de Ronsard aussi ...

J’ai sursauté à un petit bruit; comme un trottinement de souris. Un cliquetis l’avait précédé de peu : Celui de la poire que mon hôtesse avait fait fonctionner pour éclairer sa chambre.




Et me voilà ici . J’ignore comment j’ai quitté la maison. Ai-je dit bonjour ? Ai-je dit au revoir ?
Je n’ai prêté aucune attention à la rue du Palais, qu’il a bien fallu que je descende. Je n’ai pas vu la Grosse Horloge, sous laquelle il a bien fallu que je passe. J’ai bien dû longer le vieux port. Il a bien fallu que je passe par le Gabut et la Ville-en-Bois, que je passe le pont. J’ai dû marcher à grands pas, les deux mains dans les poches profondes de mon manteau noir, sans chapeau, les yeux fixés sur le sol.


Une mouette lance un cri lamentable. Quelque chose grince et claque, dans le bassin à côté. Au moment où je relève la tête, le vent me cingle le visage, d’un coup de torchon mouillé.



Je suis au bout de la jetée des Minimes. Je ne sais comment je suis venu là. Forêt de mâts à droite, et ce sont les gréements qui grincent. L’océan à gauche, comme un toit de zinc ou un vieux miroir terni. Je sais qu’en face il y a Oléron, Aix, Ré. Un éclair de lumière, c’est une vitre qui luit au cockpit d’un quelconque bateau ... Je me souviens de tout.





Je me lève, ivre, ou tout comme. Je m’approche du lavabo “ Jacob Delafont “, forme démodée. J’ouvre le robinet d’eau froide : chrome écaillé un peu, laissant apercevoir le cuivre sous-jacent. Je plonge les mains dans l’eau. Je les passe sur mes yeux. Eau chaude, rasoir, crème à raser ... Le miroir est ancien aussi, encadré de bois. Un peu piqué, un peu terni. Du coin de l’oeil, je regarde encore le pastel ...
-‘Annie ! Ô Annie ! “


Bruits de chaise à l’étage au-dessous. Je reste là, le rasoir en l’air. Et puis ... J’enfile mon pantalon à la va-vite, ma chemise, mes chaussures ... Je m’aperçois maintenant que j’ai oublié de mettre mes chaussettes.
J’ai endossé le manteau. Je suis sorti. Je sais maintenant que je n’ai dit ni bonjour, ni au revoir.

Je suis sorti comme ça, très vite. J’ai traversé toute la ville. J’ai parcouru plusieurs kilomètres. Je suis là, aux Minimes. C’est seulement maintenant que je réalise que la sirène de la tour Richelieu meugle de façon continue son cri de vache perdue. Pourtant, elle a dû mugir toute la nuit.

Il n’y a personne d’autre que moi ici. Le jour est blême. Je dois l’être aussi.

Un miroir ! Un miroir qui garde la mémoire ! Dites, vous pourriez y croire, vous ?

J’allais poser le rasoir sur ma joue. Dans le coin du miroir, reflétée, je voyais encore Annie, ses pommettes rosies par le vent ... Annie !

Le caniche geint quelque part. Je reviens au miroir. Il me renvoie l’image d’un monsieur à moustaches et favoris ... Rien à voir avec mon image qui aurait dû se trouver là. Un monsieur un peu raide. Il lève le menton pour boutonner son faux-col en celluloïd. Besicles et cordon noir tout l’air d’un instituteur, d’un « hussard noir ».

Un miroir qui restitue la mémoire ! Il ne pouvait s’agir de son mari. Ce devait être son père. Son père !

Annie a quatre-vingt-sept ans !








« ON RACONTE ENCORE, SIRE, Ô ROI BIENHEUREUX, QUE L’ÉMIR MÛSA, ENTRÉ DANS LE CHÂTEAU, Y DÉCOUVRIT UNE IMMENSE SALLE, AINSI QUE QUATRE VASTES SALONS À HAUTS MURS, QUI SE FAISAIENT FACE, REHAUSSÉS D’OR, D’ARGENT ET DE DÉCORATIONS VARIÉES … »













LE MARBRE




L’Italie






Qu’aurais-je bien pu rapporter d’Italie, et particulièrement de Toscane ? – J’ai rapporté un gravier, tout petit … Mais c’est un gravier de marbre ramassé dans les allées du jardin de Boboli, à Florence ! Tant de plumitifs ont vanté l’Italie, la Toscane, Florence … C’est un tout petit gravier, mais il s’est peut-être échappé sous le ciseau de Michel-Ange ou celui de Léonard de Vinci … Qui sait, sous la morsure du ciseau du Bernin ou de celui de Canova ?

Ah, le David de Florence, l’hermaphrodite de la villa Borghèse, la Daphné du Bernin, la Pauline de Canova, la Piéta que l’on admire au Vatican ! … Et je garde mémoire précieuse de toutes les autres, sculptures, peintures …! Que dire de l’Italie, que dire qui n’ait été déjà dit ? Que l’on me pardonne d’en parler à ma façon, je ne saurais le faire autrement !












Dans l’ombre
Grande douceur

Derrière un treillis de bois
Un long rai de lumière
Une tablette
Une couchette
Une chaise
Un lutrin avec un grand livre ouvert
Enluminé
Personne

Dans les cellules du monastère de Fiesole
Plus personne ne prie
On ne sait plus prier
Ou bien on le fait ailleurs

C’est à Fiesole que la Toscane
Vit s’installer les Étrusques
Bien avant les Romains
Lesquels descendirent auprès du fleuve
Pour y construire Florence-La-Belle



Magie de Fiesole
Comment la décrire ?
Forêt de feuillus et de cyprès colonnaires
Balcons sur la vallée
Et sur la ville


La route en lacets
Les terrasses des palais
À Fiesole on ne prie plus
Les temples et les églises se vident
On abat des arbres
Pour installer dans les clairières
Des parcours d’aventure dans les branches


Machines à sous !
Modèle Las Vegas ...
Quand on ne croit plus à rien
Il faut bien vivre avec son temps.
Peut-être qu’on fera payer les touristes
Pour visiter les chapelles
Comme au Vatican ...
















Est-ce bien toi
Ou bien n’y a-t-il là que rumeur
Est-ce bien toi Pauline
Qui fis prendre l’empreinte de ton sein
Pour y mouler une coupe de vermeil
Et pour qui la coupe
Et pour quel philtre y boire ?

Ô volage et tout à la fois la plus fidèle !
Tu vendis ton duché
Mais tu avais coupé ta chevelure
Est-ce bien toi
Aussi belle qu’il était possible de l’être
Ô Duchesse de Guastalla !
Ô l’égale de la déesse !

Est-ce bien toi
Adulée adorée
Qui donnas tes diamants
Après les avoir fait briller
Sur les hauteurs de Rome
Dans les palais de Neuilly et ceux du Faubourg
Est-ce bien toi fidèle
Qui demandas à suivre ton frère
En exil à Sainte Hélène ?

Est-ce bien toi voluptueuse
Ô tentation du fruit !
Est-ce bien toi que je vis à la Galerie Borghèse
À Rome
Sculptée par Canova dans le marbre de Carrare
Est-ce bien toi
Allongée sur le divan
Aussi belle qu’il était possible de l’être.











J’ai vu des gardes suisses
Qui barraient une porte
Chacun si je me souviens bien
Tenait une hallebarde
Ils étaient vêtus de jaune
Jaune rayé de noir
Verticalement
Le béret sur l’oreille
Pas un sourcil ne bouge

Mais je n’ai pas vu
D’autres habitants
Des lieux


Place Saint Pierre
Un peu en désordre
La colonnade du Bernin
Les bras ouverts
L’obélisque égyptien
Les fontaines
Les statues sur les murs
Cent quarante statues de saints
Les escaliers


Troupeaux de touristes agglutinés
Par paquets de cent
Conférenciers
Paroles de graviers roulants
Ou paroles de savon
De miel
Ou bien babils



Mais la plupart du temps
Japonais
Anglais
Chinois
Polonais
Espagnols
Russes
Extraterrestres supposés
Triés

On écoute

Écoulements soudains et pressés
Par paquets
Inattendus
Suivez l’ombrelle rose
Vers les couloirs
Appareils photos
Oreillettes malaisées que l’on ajuste
L’air attentif
Et absent tout à la fois
Ailleurs

Les volets du Pape sont fermés
Il n’est pas ici en ce dimanche-là

Déversement dans la Sixtine
Quinze minutes
Silence
Immobiles
Serrés autant que dans le métro
Les yeux au plafond
Le doigt du Créateur



Passage dans la Basilique
Au trot
Le baldaquin
Ah ! J’ai vu La Piéta de Michel-Ange
Derrière sa vitre blindée
Les peintures
Les sulptures
Les tombeaux
Tiens, voilà Jean Vingt-Trois !
La chaire


La crypte
Les gisants
Tiens, voici Jean-Paul Deux !
Une religieuse grise à genoux sur le granit
Prie
Le flot des touristes passe


Sortie du couloir
La place
Ses pavés
Éblouissement dans la lumière


Boutiques
Souvenirs
Babioles
Statuettes
Médailles
Chapelets
Posters
Livres d’images


Rendez-vous au coin de la rue
L’autobus vous attend



Statue de Saint Pierre
Statue de Saint Paul
Priez pour nous


Mais n’y a-t-il donc personne
ici ?







LE POUCE DE PLUTON

ET L’INDEX DE PROSERPINE


Le David de Michel-Ange est songeur
Celui de Bernini a autre chose à faire
Et il le fait
Tout entier tendu dans l’action
Faisant tourner la fronde

C’est là le génie du Bernin
Il sculpte des hommes de chair
Des femmes de chair
Vivants

Et le pouce du dieu des enfers
S’enfonce dans la tendre cuisse de Proserpine
La main de la déesse des saisons
Déforme le visage qu’elle repousse

Mais ce qui semble le plus admirable
Y avez-vous songé ?
Ce sont les doigts ...
Comment sans le casser
Dégager d’un bloc de marbre
L’index de Proserpine ?










LUCQUES

ÉLISA


La dame à la tour monte

Monte tout en haut
De la tour Guinigi
Princesse de Lucques et de Piombino
Monte à la tour couronnée de chênes vifs
Princesse Bonaparte
Princesse Bacciochi


Remparts d’ocre rouge
Ruelles étroites d’ocre jaune
Cathédrale de marbre de Carrare
Portes fortifiées
La place Napoléon
L’avenue Élisa
De la Princesse on garde souvenir

La dame à la tour monte
Aussi haut qu’elle peut monter

Grande Duchesse de Toscane
Dans Florence la belle
Aux salons du palais Pitti
Qui fut aux Médicis
Ah ! Les jasmins
Dans les jardins de Boboli !



Dentelles et rubans
Soieries
Perles en colliers
Lourds manteaux de velours
Fourragères et galons d’or
Shakos brandebourgs
Plumes en panaches
Marqueteries
Tableaux et statues


Mais la valse tournait


Élisa
Ah! Que vienne vienne vienne
Que revienne le temps !







Un archange sans doute
Tendit une plume de son aile
À Giotto
Au tout début du quatorzième siècle
Il la trempa dans le bleu du ciel
L’or du soleil
Le rouge du coquelicot
Le vert de l’émeraude

Puis l’archange lui conta le poème de l’Ancien
Et du Nouveau Testament
Je crois bien que c’était l’archange Gabriel
Je crois bien aussi qu’il guida sa main
En ce temps-là
Les anges enchantaient les peintres
Les enlumineurs et les tapissiers
Les orfèvres
Et les poètes
Les artistes écoutaient les anges

C’est ainsi que Giotto peignit ses fresques
Sur les voûtes et sur les murs
De l’église dédiée à Saint François d’Assise
Mais à Padoue
Dans la chapelle des Scrovegni !
Il fallait bien
Que Saint Gabriel lui-même
Guidât sa main !


De la vie de Sainte Anne
À celle de Sainte Marie
De la naissance de Jésus
Aux pleurs de la Madeleine
Ô ces couleurs !
Ô ces regards !

Scènes d’estampes japonaises
Dessins de tapisseries de soie
Ors des émailleurs
Volutes
Le génie technique
Au service de la foi

Mais si la foi venait à se perdre
Si le peintre devenait sourd
Si l’ange se détournait et venait à se taire
Si la poésie
Venait à mourir ...






Pour se présenter devant la porte de la ville
Il faut jeter sur ses épaules
Un manteau d’écarlate
Manteau de velours de soie doublé d’or
Et porter le bonnet carré ...

Cette ville derrière ses remparts
Conserve mieux que partout ailleurs
Sa splendeur de cité médiévale

Terre de Sienne
Ocre
Ville gothique flamboyante
Ville d’art
Les murs sont jaunes
Les toits couleur de pain brûlé
Rues étroites sinueuses
Palais aux fenêtres trilobées
Églises et cathédrales

Ville mystique
Catherine de Sienne
Saint Bernardin ...

Ville de brique
De travertin et de marbres


Sur la Piazza del Campo
Des champions bariolés
Montent a cru leurs chevaux
Bannières aux cent couleurs !


Cathédrale de marbre blanc rayée de noir
Ébène et ivoire
Façade sculptée
Boîte à musique
Ô Pisano !
On devrait Pour entrer
Chausser pantoufles de feutre
Comment marcher sur tant de splendeurs ?

Musique
Mosaïques de couleurs
Un pavement qui est une marqueterie de marbres

Ou bien chaussures de velours ...
Chaussures à la poulaine
De même couleur que le manteau
Et brodées d’or !




LA SÉRÉNISSIME

Venise ...
Oui, Venise ...
Venise quand même !
En dépit des escadrons de touristes dociles
Parlant Chinois ou Japonais
Parlant Russe ou bien Allemand
Et les guides élèvent de petits drapeaux
Des ombrelles ou des mouchoirs
Suivez-moi à mon panache blanc !

Venise quand même
Bien que les zombies se serrent dans le vaporetto
Tout comme à Paris dans le métro du soir
Venise quand même
Malgré les foules qui se pressent sur la place Saint Marc
Photo !
Il y a toujours des pigeons et quelqu’un pour les nourrir
Sous les ponts, les gondoliers sont crânes et gais
Même si la promenade est hors de prix

Venise quand même
Bien que dans chaque ruelle
se vendent à la sauvette des articles contrefaits
Venise quand même
Et toutes ses boutiques de luxe
Tous ses pas-de-portes de perles et de verroteries
Venise quand même
Ses restaurants attrape gogos
Ses moustiques et ses odeurs de moisi

Venise !
Oui, Venise, ses palais, ses chapelles
Ses églises
Et ses cathédrales
Ses campaniles, ses dômes
Ses canaux et ses venelles
Venise, ses façades de marbre
Venise et ses toits de tuiles
Ses paquebots au coeur de la ville

Oui, Venise
Du haut de la tour San Giorgio
La lagune et ses îles
Ses ponts et ses quais
Sa lumière
Venise à nulle autre semblable
Venise d’aujourd’hui et Venise historique
Venise des images, des sculptures et des noms
Titien, Véronèse, Tintoret, Bellini et les autres

Oui, Venise ...
Venise de Chateaubriand et de Byron
Thomas Mann, Proust et Musset
Venise des doges et des ambassades d’orient
Venise et le Bucentaure
La chimère du lion ailé
Venise des soieries somptueuses et des bannières
Des festivals et des carnavals

Mais Venise morte quand tombe le soir
Ville vide
Dont les rues s’emplissent trop vite le matin
Et les guides élèvent bien haut de petits drapeaux
Des ombrelles ou des mouchoirs
Suivez-moi à mon panache blanc !









FLORENCE

( à Franco et Giuliana Alessandri )





Ocre
Ocre jaune
Ocre rouge
Les villas s’accrochent aux pentes boisées
Campaniles
Les monastères dominent aux crêtes des collines
Longues files des cyprès colonnaires
Montant jusqu’au ciel
Bleu pervenche

Dômes et coupoles
Tours
Remparts
Briques
Tuiles très douces
Rues étroites
L’Arno feint le sommeil
Le Ponte Vecchio se recueille
Les palais sculptent la ville

Laurent
Laurent le Magnifique
Mosaïques
Pavements colorés de pierres dures
Marqueteries
Façades revêtues
De marbres antiques
Arrachés aux monuments des Césars
Et les bijoux des Barbares luisent au vitrail


Portes modelées et fondues dans le bronze
Couvertes de feuilles d’or
Arcades et balcons
De fer forgé
Balustres
Escaliers en souples volées
Mais Persée brandit la tête
De Méduse à bout de bras

Baptistères
Chapelles et églises
Cathédrales basiliques et musées
Le Christ en majesté
Le Christ triomphant
Le Christ mort
Visages de Madone
La Madone glorieuse
Mais la douloureuse mère d’un homme mort

Tant de beauté !
Tant d’or
Tant d’argent
Tant de talent et tant de travail !
Le David de Michel-Ange
Mais aussi sa Piéta
Mécènes peintres sculpteurs
Architectes maçons
Tout cela pour exorciser la mort ?

Laurent, ton tombeau est magnifique
Mais c’est un tombeau..













ASSISE


La plaine douce ondule
Ronde colorée
Et sur la colline la ville est rose
Rose comme fleurissent les roses
Et je crois bien que ses murs sont de marbre brut
Rose comme aux fresques les mains de la Madone


Le soleil se voile un peu
Dans une gloire de buées
Le ciel est un lavis d’aquarelle
La route monte et se tord
Jusqu’à la basilique aux multiples arcades
Vers laquelle des millions de pèlerins s’acheminent


Splendeur de la ville entière
Les escaliers et les rues sont roses
Rose nimbé de l’or des enluminures
Des manuscrits et des châsses gothiques
Douceur Joie et Paix
Et les remparts forment l’auréole


La basilique s’étage sur trois niveaux
La tombe de François est dans la crypte
Scellée dans une pierre sévère et nue
Mais on entre aussitôt dans un univers d’orfèvrerie
Orfèvreries plutôt que peintures
Fresques des voûtes des arcs et des murs


Il faut nommer Giotto et Cimabue
Martini
Lorenzetti
Afin que de chacun on se souvienne
Il faudrait en nommer beaucoup d’autres encore
Peintres, maçons, architectes, sculpteurs ou verriers


La Jérusalem de l’Apocalypse est descendue sur la terre
Mais peut-on prier encore au milieu de tant de merveilles
Temple colossal miracle d’enchantement ?
François que l’on appelait le “Poverello”
On expose ta tunique grise rapiécée et ton cilice
Vas-tu revenir un matin t’asseoir à l’entrée du Champ de Justice
Ta sébile à la main répétant les paroles de l’Évangile :


-”Ne désirez ni or, ni argent, ni monnaie, ni sac pour le
voyage, ni deux vêtements, ni souliers, ni bâton ... “
Ô poverello !












« LA TROUPE, EN ENTRANT, SE TROUVA DANS UN COULOIR DE MARBRE DONT LES MURS S’ORNAIENT DE TENTURES OU ÉTAIENT REPRÉSENTÉES DANS L’OR ROUGE OU L’ARGENT LE PLUS PUR TOUTES SORTES DE BÊTES SAUVAGES ET D’OISEAUX, AUX YEUX FAITS DE PERLES ET D’HYACINTHES, ET DONT LA VUE LAISSAIT PANTOIS … »









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