DES PETITS CAILLOUX, CHAPITRE IV




« JE REMONTAI À BORD CHARGÉ DE PERLES. NOUS REPRÎMES LA MER AVEC LA BÉNÉDICTION DE DIEU – EXHALTÉ SOIT-IL ! ET NAVIGUÂMES JUSQU’À BASSORA OU JE SÉJOURNAI TRÈS PEU DE TEMPS AVANT DE REGAGNER BAGDAD … »







DU WOLFRAM



                 Vous savez ce que c’est, vous, du wolfram ? - C’est du minerai de tungstène !

                        Vous n’êtes pas plus avancé avec cela ? … C’est pardonnable : Le tungstène est un métal lourd, utilisé pour fabriquer les filaments des ampoules électriques à incandescence, à cause de sa très grande résistance. Il est aussi utilisé pour fabriquer des mèches de perforatrices, en raison de son extrême dureté ... Vous n’en avez jamais vu ? – Moi non plus, mais mon père, en quittant la Marine fut employé comme ingénieur dans une mine de wolfram, à côtéde Saint Léonard de Noblat, en plein cœur du Limousin.

                             Nous partîmes au mois de Juillet. Mon père déposait son uniforme d'officier. Je n'étais plus le fils d'un officier de marine. Je devenais le fils d'un ingénieur.

                              Nous allions à Saint-Léonard-de-Noblat, du côté de Limoges.
                              Mon père avait trouvé un emploi dans une 
mine dénommée Puy-les-Vignes. Il y avait aussi dans cette mine, de l'argent et de l'or ! Rien qu'à cette évocation, je me replongeais dans les rêves du Klondick de Jacques London. Mais mon père ne rapporta pas d'or à la maison et je n'en ai pas trouvé dans les champs.

                    Une nouvelle et bien curieuse époque, une fois de plus ! Saint-Léonard est une petite  ville charmante, médiévale à souhait : rues étroites, tortueuses, maisons à colombages ornées de tours, rondes ou carrées. Elle est perchée sur une colline. En bas coule une rivière enjambée par un pont. Il y a des moulins sur la rivière. Un viaduc élégant surplombe la vallée, sur lequel courent des trains, venant de Limoges ou y allant. Le champ de foire est immense, bordé de barres d'acier auxquelles on attache les vaches et les boeufs. Le clocher roman est de granit ajouré. Un restaurant affiche la "carpe à la juive" et les "tripous". Surla place un pâtissier vend des macarons. 

                       Les parents d'une de mes camarades tiennent une boutique de tissus sous un encorbellement. Ceux de mon meilleur ami vendent des appareils sanitaires : Ils ont aussi une fille, toute blonde,avec des yeux bleus. Je sais un endroit où s'ouvre la boutique d'un photographe. Le photographe est mort récemment mais sa fille est très belle. C'est elle qui fait battre mon coeur. C'est de mon âge !


                                Extraordinaire : me voici à nouveau pensionnaire, au « Collège Moderne de Garçons » ... Que fréquentent aussi les jeunes filles à partir de la classe de seconde ... Mais elle logent plus loin. 

                                       Nous voilà donc encore internes, mon frère aîné et moi. Nos parents demeurent, et demeureront encore pendant six mois à "l'Hôtel du Midi et de la Boule d'Or", à l'angle de deux routes : La Société de Puy-les-Vignes fait préparer une maison pour nous loger, mais nous attendrons longuement la fin des travaux. 

                                     De temps en temps nous faisons le mur, pour aller au cinéma ou tout simplement pour nous promener dans les rues, avec ou sans les filles ... Ah ! Les filles ! Éveil des sens, maladroit, platonique ... Comme parfum léger de cistes et de romarins ... Petits billets que l'on se fait passer en classe, d'un banc à l'autre ... Regards prolongés. Particulièrement pendant les cours de sciences. 

                                 Pauvre professeur de sciences ! L'avons-nous 
assez chahuté ! Avons-nous  lancé assez de boulettes  de papier mâché, qui se collaient au plafond ... Nous y suspendions des pantins de papier attachés au bout d'un fil ! Une fois , nous avons imaginé d'acheter (Voir pour cela le catalogue de Manufrance ... ) Nous avons imaginé d'acheter des appeaux de toutes sortes. Dès le début du cours de sciences, le merle répondait à la grive, d'un bout de la salle à l'autre : facile, il n'y avait qu'à tapoter de petits sachets de cuir actionnant de petits sifflets. Mais imiter le roucoulement du pigeon était plus risqué car il fallait porter l'appeau à la bouche et souffler. C'était beaucoup plus visible! Le canard aussi était de la partie.

                           J'échoue à la première partie de mon baccalauréat, bien sûr, mais j'ai une bonne note en composition française ... Je suis admis à redoubler.


                               De cette année-là je garderai surtout le souvenir de mon ami Jean-Claude, exilé à Saint-Léonard par son Inspecteur d'Académie de père, pour cause d'échecs scolaires successifs. Je pense que c'était surtout pour l'éloigner de son court de tennis sur lequel il excellait mais qui lui mangeait tout son temps au détriment de ses études. Je le revois arpenter la galerie du collège à petits pas, pendant des heures, pour essayer de mémoriser les"Imprécations de Camille" en déclamant à haute voix. J'apprenais plus facilement ...lorsque j'y mettais du mien ! 



                                       Jean-Claude a un vélomoteur, je suis à vélo. Il y en a, des côtes, dans le Limousin ! Rocs de granit, collines vertes, prairies, vallées et rivières vives, boeufs roux et châtaigneraies, fleurs, et l'odeur des champignons à la saison d'automne ! Sur les routes, on croise parfois Poulidor à l’entraînement. 


                                     Campagnes du Limousin : les herbes couvertes de givre l'hiver, les rues en pente, glissantes, glissantes ... Pendant que je monte, poussant je ne sais quel charreton, mon frère est obligé de caler mes pieds avec les siens, pas à pas, pour que je ne dérape pas. 

                                      L'été amène la canicule : Les eaux sont à leur
 étiage dans la Maulde et dans la Vienne ...




                           En mille neuf cent cinquante-quatre, Saint-Léonard de Noblat fête le centenaire de la mort de Gay-Lussac. Je ne sais pas, après tout, pourquoi on fête l'anniversaire de la mort des grands hommes : c'est plutôt l'anniversaire  de leur naissance, que l'on devrait fêter, non ?


                            Je dois direque je ne sais pas grand 'chose de ce savant personnage et j'avoue que je n'ai guère cherché à me renseigner. Il était né à Saint Léonard, voilà tout. C'était un chimiste. Je sais aussi qu'il a fait deux ascensions en ballon, pour mesurer le magnétisme terrestre. Mais j'habite sa maison natale ! 


                                           Je suis toujours interne, à quelques centaines de mètres de là, mais j'ai ma chambre chez mes parents, juste en face de l'église, que je retrouve chaque fin de semaine. Très belle église, de style roman limousin, avec de multiples absidioles, et construite en pierres de granit, couverte de tuiles rondes. À l'intérieur, pendu au mur, on trouve le"verrou de Saint-Léonard : Une paire de chaînes que l'on soudait autrefois aux chevilles des prisonniers. Les femmes enceintes viennent le toucher pour avoir "une heureuse délivrance" ! Au milieu de la place, sur un piédestal trône le buste de Gay-Lussac.



           Savez-vous comment on appelle les habitants de Saint-Léonard ? - On les appelle des"Miaulétous" ... Il faut un effort d'imagination pour comprendre la relation qu'il y a avec le grand-duc qui habita autrefois le clocher de l'église : Il miaulait ! 



                     Pour ma part, je ne me suis jamais senti "Miaulétou", pas plus d'ailleurs que je ne me suis senti d'ici ou de là : Fils du vent qui caresse, fils de l'eau qui miroite, des arbres frémissants, des routes, du ciel et des pierres rondes ou tranchantes ... J'ai toujours eu cependant une tendresse particulière pour les terres basses d'Oléron, si abîmées soient-elles: S'y plongent les seules racines que je me connaisse !



                     J'avais aussi pour ami, à Saint-Léonard, un jeune abbé. Je n'ai pas oublié son nom mais je le tairai ici. Fûmes-nous vraiment amis ? La durée de mon séjour ne m'en laissa guère le temps ... Il en est ainsi pour tous ceux qui nomadisent ...


              -"Tu viens, Michel " ?


                     L'abbé est là, sous ma fenêtre, à la tombée de la nuit,


            -"Tu viens, Michel, j'ai des pétards plein les 

poches. On va faire la sérénade aux"demoiselles".


                      Que voulez-vous, on a beau être consacré, on n'en est pas moins jeune ! Les"demoiselles", ce sont deux vieilles filles. Bigotes, elles demeurent dans un vaste domaine entouré de grilles autour desquelles rôdent de grands chiens danois tachetés de noir et grands comme des veaux …


                     Mais, le soir de la "saint Gay-Lussac"  nous vit faire bien d'autres farces. L'abbé n'en était pas, j'en suis 

sûr.

                                 Depuis des semaines des ouvriers clouent des planches pour construire une estrade adossée au mur de l'église, devant ma fenêtre ... L'estrade est achevée. On l'a équipée d'une paire de grands rideaux rouges, comme la scène d'un théâtre. Des chaises ont été installées pour plusieurs Académiciens français et étrangers. Je crois même qu'il y aura un Ministre. Les micros sont en place. Les rideaux ont été refermés.
                                  Une ascension en ballon sphérique avait été prévue. C'était mon père qui était l'aérostier.Et puis ... Il n'y aura pas d'ascension ... Les assurances coûtent trop cher !



                             Nous nous levons au milieu de la nuit.Tous les copains du collège sont là.


                   - " Tu te charges du cuisinier de l'hôtel du Midi. Vas-y avec ton frère ...Rendez-vous dans une demi-heure ! "



                             Eh bien oui,le cuisinier de l'Hôtel du Midi ! Vous savez, ces cuisiniers en contre-plaqué, tenant le menu, pour attirer les chalands ! 



                                Nous étions en juin. L'air était tiède. Dans les bacs en béton poussaient des troènes dont la floraison sentait le miel. Cinq ou six consommateurs bavardaient encore , assis près des tables.La patronne de l'hôtel était là et elle riait fort. Les rues, elles, étaient désertes. On devinait l'estrade, devant l'église. Pas un souffle de vent ...Les réverbères éclairaient l'endroit et la vitrine du pâtissier brillait.



                -"Qu'est-ce qu'on fait ?"


        - " On ne va pas attendre deux heures. Tu              me suis."



                       Je me baisse derrière les troènes, je rampe ... Les gens qui bavardent n'ont rien vu, rien entendu ... À moins d'un mètre de nous !


                                Une chance : Le cuisinier n'est ni attaché,ni scellé. Je le couche, lentement, sans bruit. Je 
suspends mon geste.Une chaise racle le sol ... Rien ne bouge.


                  - " Je te l'avais bien dit que c'était gagné ... 

Allons-y !"


                 Le cuisinier passe en catimini, en position horizontale, derrière les troènes. Nous tournons au coin de la rue ... C'est gagné ! Nous voilà marchant le long des rues, le cuisinier sur l'épaule ... Un vrai film de Charlie Chaplin ! Il faudra encore attendre une bonne heure dans un coin du champ de foire, devant le restaurant à l'enseigne de "La Carpe à la Juive". 

                       Attendre que les clients de l'Hôtel du Midi soient couchés, que les portes soient toutes fermées.

                        Le cuisinier sera cloué aux planches de l'estrade, derrière les rideaux fermés, devant les micros. Demain, il tendra son menu au public. Les copains, eux, ont habillé la statue de Gay-Lussac : chapeau melon, faux-col, cravate et besicles ... Ils ont aussi habillé les statues de l'église, pendant qu'ils y étaient.



                Hélas, je n'aurai pas le plaisir de voir le résultat de nos efforts : Je n'ai pas pu assister aux cérémonies. Je ne sais pas pourquoi. C'est bien mieux ainsi, n'est-ce pas ? J'ai le loisir de tout imaginer ...



                   - "Et maintenant, Monsieur le Ministre, Messieurs les Académiciens, vous allez pouvoir prendre place sur l'estrade. Nous allons ouvrir les rideaux » ...



        Imaginez, vous aussi : Nous avions cloué le cuisinier avec des pointes de charpentier. Elles devaient bien mesurer quinze centimètres. Quelqu'un se souvient-il de la façon dont cela s'est terminé ?











DU SHISTE, ENCORE

mais … à l’autre bout du monde !








Mais n’allez pas croire que ma maison et mon jardin ressemblent à un chantier de démolition ou à l’aire d’une carrière. Mes souvenirs sont assez discrets. Ils sont le plus souvent de la taille d’un morceau de sucre, disons de deux ou trois morceaux de sucre. Ma foi, ils sont assez jolis et, à les regarder, j’y découvre toujours quelque détail nouveau.








L’AMBRE



              C’est un caillou, bien entendu, mais cela n’a pas l’air d’être un caillou : On croirait un morceau de bois, large comme la main à peu près, d’un brun jaunâtre, luisant … À dire le vrai, on penserait à une grosse écharde qu’une hache aurait arrachée à un tronc. On pourrait penser aussi à de l’ambre, d’ailleurs c’est bien à cela que pensent mes amis en le voyant : brun jaunâtre il est vrai, mais lisse, comme vitrifié, presque translucide. De l’ambre ? … C’en est presque, en effet : C’est un morceau de bois fossilisé, un bois résineux, sans doute un séquoia… Cet arbre, il vivait à la Guadeloupe il y a ... Combien de millions d’années ? Ce qui en reste là, c’est sans doute le fossile d’une exsudation : Vous savez bien … La gomme que l’on voit au tronc des vieux cerisiers !










LA GUADELOUPE



Orange rouge jaune violet Bougainvillées tôles rouillées toits de guingois Jaillissement des palmiers au soleil-Roi Indigo mer vibrations d’argent souvenirs de galions et d’or de voiles et de claquements de tonnerre

Trois tours de béton étals de fruits pays sous la halle de fer tissus fleuris au kilomètre enroulés déroulés et l’air sent la bagasse douceâtre 

Les moulins ont perdu leurs ailes depuis longtemps pour autant qu’ils en aient eues un jour! Les moulins à sucre de pierres taillées coiffés de feuillages et les cases de bois en troupes montant bariolées aux flancs des mornes En bas s’étirent les Grands Fonds des Matignon

Entre les deux Mamelles montagnes sur l’immense écran bleu lavande toute la forêt-mère de feuilles de branches de palmes de fleurs

Troncs et l’arbre a pour nom gommier Bois côtelette Bois bander

Que sais-je encore ? Piliers jaillis de l’humide et pourvus de racines apparentes tortueuses millions de serpents immobiles entremêlés anacondas et pythons cordes nœuds et rubans

Les arbres les plus grands sont pourvus de renforts comme murs de cathédrales Grimace tout à coup tout un peuple de gargouilles 

épiphytes aux branches suspendues fougères aux longues feuilles luisantes Sous-bois de gouttes d’eau et de bâtons Inquiétantes muqueuses fleurs et bâtons épineux l’argile rouge colle à la semelle Odeur d’humus et de mort

Oreilles d’éléphants et autres feuilles géantes lucioles toute la nuit et l’orchestre doux de  cascades de grillons de graviers d’oiseaux inconnus aux trois notes de l’accord parfait


GROS-KA ! quelque part là-bas battu au rythme du pouls de la vie partout ces yeux ces cris à qui sont-ils ? D’où venues ces flammes dans les cannes courant à Noël passé annonçant la coupe et la course des chiens chassant les mangoustes et les Titi-racoon sous les feuilles longues aiguës comme des sabres ?


Un grand homme Maire et Président géant les bras levés les joues luisantes de sueur applaudi par une foule superbe Des fonctionnaires prennent des notes et parlent à voix basse

On dit que le volcan hier s’est encore ébroué Les savants ne sont pas d’accord quant à l’avenir mais la terre a tremblé Sous des centaines de tentes verdâtres militaires on fait l’école et ça sent mauvais la toile chauffée On a beau rouler les bords il fait trop chaud Football pourtant aux terrasses fraîchement écorchées par les bulls jaune-orange et autres engins

Un homme vocifère juché sur un fût de pétrole invectives incantations il s’en prend à la France pas moins" Qui nous a pressurisés"

              "Allons-nous longtemps rester des esclaves ?”

Attendant le bon vouloir du volcan de la Soufrière souvenons-nous de la Montagne Pelée mille neuf cent deux Vingt-six mille morts un seul rescapé dans un cul de basse-fosse La mer Morte Sodome et Gomorrhe La Basse-Terre évacuée c’est encore un coup de la Soufrière

Politique d’oppression Les foules sont logées dans les écoles de la Grande-Terre on porte la soupe et le pain et des armoires ont été dressées entre les lits de camp milliers de gens, milliers d’enfants poussant du pied des boîtes de conserve vides ou des ballons Radios gueulant biguines serré-collé

Avez-vous vu mes gosses ? Où sont-ils partis ? Au soleil violences sourdes couvées la nuit Au petit matin éclatent couleurs et formes foisonnantes élancements et odeurs d’alcools de décollage piments et fruits 

corail hirsute coupant crabes de terre et de mer langoustes cuirasses de guerre hallebardes poignards surcots de satin ou de brocart médailles plaques ferrets émaux cabochons sable blond coquilles mangroves à palétuviers-pieds-tors héron noir héron blanc et le poisson-qui-grimpe-aux-branches hibiscus rose-porcelaine simple ou double pervenche mille épées mille éclats bougainvillées

Basse-Terre la plus haute bien sûr la plus humide la plus verte Maisons et baraques vides clopin-clopant posées sur quatre pierres de guingois parois ornées ou plaquées de fer-blanc de boîtes à biscuits découpées aplaties clouées Grandes cases à toits multiples balustres jardins bassins fentes des persiennes closes

Jet d’eau des chutes du Carbet dans les bananiers l’allée des palmiers royaux trente mètres de haut et les cyclones !La ville elle-même vide ses forteresses d’un autre âge et son port rues tracées au cordeau et la Préfecture est vide aussi la police assure la sécurité des biens

                 La Soufrière va-t-elle éclater ?


Mais c’est Pointe-à-Pitre capitale qui oppose son gargouillement et Petit-Bourg Baie-Mahault Sainte Rose et sa fontaine ornée de chérubins peints en vert-épinard on n’a pas encore évacué la Mairie hors de la zone de danger Ailleurs à Vieux-Habitants à Gourberre et Trois-Rivières on a lâché le bétail dans la nature les vaches meuglent les pis trop gonflés


-” N’y va pas m’avait dit la Créole assise sur son mur écroulé du côté de La Rochelle

grande famille de colons ruinés

N’y va pas ma maison à Trois-Rivières est termitée Ma maison aux balustres de bois dans le parc il y a encore les bassins pour faire bouillir la mélasse

C’est trop tard ! Si tu savais autrefois !”

Mais cet homme au chapeau-nimbe couleur de paille bras levés devant le ciel bleu juché sur son fût vide au Morne-Rouge incantations et tout cet or sur la mer

Quel bonheur d’être venu quand même !

















Les doigts
Des larges feuilles déployées
Parfums
Aux aisselles de la nuit
Soie
Et la peau de la nuit

Lueurs
Aux ventres des galets
Trajectoires
Des lucioles prenant vie

Pulsations
Flûtes et crécelles
Aux plans successifs de la nuit
Flux
D'un ruisseau haletant

Lourdes gouttes
Froissements
Et l'haleine vaste
De la nuit
Le sentier monte
L'homme dort
Dans les cercles
De ses réverbères électriques

Aboi

Et derrière
L'océan qui respire

Ma main
Sur la hanche de la nuit
Ma joue
Sur le flanc de la nuit ...






1902









L’angoisse ne s’était pas encore infiltrée

Dans les artères de la ville

Nous n’avions pas encore appris la peur

Le volcan avait prévenu pourtant



Il eut fallu savoir lire

Savoir lire dans cet alphabet oublié

Savoir lire les racines de feu gonflées

Les plumetis de cendres

La déroute des serpents

Savoir lire aux veines des ruisseaux

Les accélérations

Les changements de couleurs


On ne nous avait pas appris la méfiance

Maman Rosa partit chercher son pain

Comme chaque matin

Coiffée de son madras

Son panier à la main

Quelques-uns étaient montés voir

Ce qui se passait là-haut

L’Etang-Sec était plein d’eau rouge

En son milieu un cône noir

Crachait des fumées

Paisiblement

Mon Dieu mon Dieu

Que l’océan sait être bleu

Les voiliers en attente

Dodelinaient

Il eût fallu

Savoir lire les battements d’ailes du coq

Qui ne savait plus quoi chanter




C’était à huit heures du matin

Huit heures et deux minutes très exactement

A la cathédrale de la ville

Le bronze a fondu

Les carillons se sont tus

Nul ne saura jamais leur plainte

ni leur cri





Là où ton pied se pose prends garde

Tu marches sur la cendre des os brûlés

Murs noircis

Sans toits

Sans poutres et sans chevrons






C’était à huit heures du matin

Huit heures et deux minutes très exactement

Les amours se sont étranglées

Dans un monstrueux orage

C’était à huit heures et deux minutes très exactement

Et le verre a fondu




La ville a flambé

La rivière a bouillonné

C’était à huit heures et deux minutes très exactement

Le huit mai mille neuf cent deux

Et la terre tremblait




La rue Monte-au-Ciel s’est fendue

La nuée a dévalé

Les barriques ont éclaté

Dans les rhumeries et sur les quais

Noirs cumulus roulant se déroulant

Explosions de colères rouges et jaunes



Plages noires

L’océan seul vivant encore

Recouvre des carcasses de navires

morts




C’était à huit heures du matin

Huit heures et deux minutes très exactement

Un dimanche du mois de mai

Un jour de premières communions

Encens

Brassards et mousselines blanches




C’était à huit heures du matin

Huit heures et deux minutes très exactement

Le huit mai mille neuf cent deux

À huit heures et deux minutes très exactement

Et les mots à jamais se sont tus














Sous la coupole du ciel blanc
La mer est lisse aux vitraux de la rade

Voici un lourd verrou de fer
un anneau rouillé
un éclat d'une porte de bois

Dans la citerne voûtée
Pleine
Il semble n'y avoir point d'eau
Tant elle est claire

L'iguane est un reptile qui peut atteindre un mètre
cinquante
Il porte une crête dorsale d'écailles pointues
C'est le gardien du temple

Fente de mes paupières à tant de lumière
Un flamboyant en majesté dans sa gloire de haute lisse
Encens alentour issu du mancenillier ou arbre de mort

Je veux que sur ma tombe
On place des lambis
Comme aux tombes des marins là-bas
morts du choléra

Tapisseries sacrées où voguent des vaisseaux de haut-bord
dans l'éclair des canons toutes voiles dehors
Mais les prisonniers sont morts au cachot
au milieu de tant de splendeurs

Au soir à contre jour la mer devient bleu-de-Prusse
Au long des plages elle reste verte
Le choeur s'embrase alors






« ON RACONTE ENCORE, Ô SIRE, Ô ROI BIENHEUREUX, QUE SINDBAD DE LA MER NARRA COMMENT IL AVAIT ASSÉNÉ UN COUP VIOLENT SUR LA TÊTE DU SERPENT À L’AIDE DE SA CANNE EN OR … »








LA MALACHITE






                     C’est une pierre que l’on utilise en joaillerie. C’est un minerai de cuivre. 

                D’un vert profond, avec des cernes plus clairs. Polie, la malachite fait de l’effet, sans contredit. Le morceau qui se trouve sur le haut de mon secrétaire est taillé et poli en forme d’œuf, de la grosseur, environ, d’un œuf de petite poule : un vrai bijou ! 

                      On me l’a offert à Brazzaville, lorsque j’ai quitté le Congo après un séjour d’une année. Le vendeur … Disons le contrebandier qui l’amenait du Zaïre voisin (Oui, oui, il y a eu un pays qui, pendant quelque temps s’est appelé le Zaïre ! ... D’ailleurs, c’est un autre nom du fleuve Congo.                  Le contrebandier proposait une poignée d’autres minéraux, dont un minerai de cuivre moins beau, mais cristallisé … Il proposait aussi des ivoires. Je lui ai acheté une petite, toute petite statuette représentant la Vierge Marie, très douce à regarder … 

Ô, je sais … Les ivoires !







AU CONGO



                      J’étais auCongo en 1971. Je n’y suis resté que quelques mois. Vous comprendrez aisément pourquoi, lorsque je vous aurai sommairement décrit la période.            

                  C’était une période troublée, très troublée. Le Ministère qui nous accueillait commença par nous loger dans une maison de plain-pied : En Afrique, on appelle cela une« case » et cela fait bien entendu penser à la « Case de l’Oncle Tom », mais c’était une assez jolie maison, avec un toit de tôle ondulée, comme il se doit en ce pays. Le problème nous apparut dès le lendemain matin :

                    Nous fîmes la rencontre d’un jeune couple qui avait débarqué du même avion que nous … Ils étaient logés, eux aussi, dans une « case ». À leur arrivée, ils avaient déposé leurs bagages dans la maison qui leur avait été affectée. Ils étaient partis souper chez des amis : À leur retour … Ils n’avaient plus retrouvé une seule valise ! Le bloc du climatiseur avait été dévissé de l’extérieur, on avaitpoussé le tout dans l’intérieur, on était entré et l’on avait ouvert les fenêtres pour emporter tout ce qui pouvait être emporté ! … Pourtant, cette soirée-là avait été extrêmement pluvieuse : Une pluie comme il n’en tombe que dans ces pays proches de l’Équateur, accompagnée d’éclairs et d’orages …

             « Justement, nous a-t-il été raconté, le coup de tonnerre couvre le bruit qu’ils pourraient faire : Des foisqu’il y aurait quelqu’un dans la maison ! »

                  L’histoire avait été bien comprise : ce jeune couple demanda aussitôt un autre logement, nous aussi. 

                     Nous avons tout aussitôt obtenu un appartement au quatrième étage d’un immeuble tout neuf, dit « Les 32 appartements italiens ». –« Italiens », parce que l’immeuble, haut de huit étages s’il me souvient bien, avait été construit et offert par l’Italie en échange de je ne sais trop quoi. 

               C’était un bel immeuble. Les sols étaient entièrement carrelés, les fenêtres étaient équipées de vitres à persiennes pour la ventilation, chaque appartement avait deux longs balcons. Il y avait même des vide-ordures (bouchés sans cesse par les déchets que l’on y jetait sans les emballer et d’une sonorité qui permettait d’entendre la descente sur huit étages des bouteilles que l’on y jetait !)

                            L’immeuble des 32 appartements Italiens était surtout occupé par des Russes et leurs puissantes épouses. Au petit matin, nous pouvions compter les bouteilles vides alignées sur les paliers : Elles avaient contenu de la vodka et … Des chansons ! La nuit, les accès à l’immeuble étaient gardés : J’ignorequi les payait, mais il y avait en bas de chaque escalier un Congolais qui veillait … armé d’une lance digne des temps préhistoriques. En fait, les sentinelles n’ont jamais servi à rien, mais peut-être leur est-il arrivé de dissuader des voleurs ?

                    Nous étions proches de l’aérodrome de Brazzaville et nous avions le bénéfice de tout le bruit des atterrissages et des décollages. Le dimanche, des« sportifs » européens se distrayaient en sautant en parachute : C’était très beau et très coloré. Mais ce qui faisait le plus de bruit, c’était la circulation automobile : Nous étions au bord du seul tronçon d’autoroute du pays et les chauffeurs des voitures comme ceux des camions s’en donnaient à cœur joie : J’ai même appris là qu’un camion pouvait continuer à rouler après l’éclatement de l’un de ses pneus … Une voiture aussi, d’ailleurs !

                      Le soir, au moins une fois par semaine (Il me semble bien que c’était le samedi …), nous avions droit à la musique des Kimbanguistes (J’écris comme cela se prononce). LeKimbanguisme, m’expliqua-t-on, c’est le rite d’une secte d’inspiration chrétienne qui recherche la spiritualité par le chant et par la danse. Je n’ai pas approfondi, mais il me semble que les rites sont inspirés par des pratiques évangélistes américaines … Cela commençait le soir, peu avant la tombée dujour. Cela se passait juste au pied de notre immeuble : De nos balcons, nous apercevions des gens, hommes et femmes, qui tournaient comme une ronde en chantant et en frappant dans leurs mains. Ils tournaient, tournaient, tournaient … Cela durait jusqu’au matin ! … Les boules Quiès, ce n’est vraiment pas suffisant pour dormir !

          Un matin, nous avons été réveillés par un vacarme épouvantable : Les chars d’assaut étaient dans la ville : De vieux chars d’origine russe, dont les chenilles grinçaient, grinçaient ! Les tourelles tournaient, les canons visaient les fenêtres et les portes. Les chars étaient vieux, mais il y en avait beaucoup et les soldats dont les têtes et les bustes émergeaient des tourelles ne semblaient pas avoir envie de rire ! Nous apprîmes qu’un coup d’état avait été déjoué de justesse et que les chars s’en allaient prendre position devant « Radio Brazzaville » pour éviter toute intrusion. Nous n’en sûmes pas plus, et il eut été malséant de chercher plus ample information. 

                 On disait qu’un certain Diawara, réfugié au Zaïre voisin avait franchi le fleuve Congo et qu’il était « activement recherché ». Je ne me souviens plus du nom du Président de la République Populaire du Congo à l’époque, mais qu’importe ! Ce que je sais, c’est que la République Populaire appliquait une doctrine de « Socialisme Scientifique ». Les enfants, lorsqu’ils accueillaient quelqu’un dans leur école se levaient tous comme de bons soldats : Debout derrière leurs pupitres et leurs bancs, ils s’écriaient tous en chœur : « Tout pour le peuple, rien que pour le peuple ! ». Ils tendaient le bras et fermaient le poing.

J’étais affectéà un « Institut de Recherche » abrité dans les locaux d’un ancien hôpital. Je n’y rencontrais jamais personne et l’on n’y recherchait à l’évidence … Que des raisons de ne pas y venir. Je n’y ai jamais reçu aucune directive et mon travail ne débouchait jamais sur rien.

Mon épouse allait au marché à Potopoto ou à Bacongo … Des foules en boubous hantaient les étalages, sur lesquels on vendait … Des macaronis par petits paquets de trois ou quatre unités :

- « Tu prends deux paquets ou trois paquets »

            - « Non, donne-m’en un seul : C’est trop cher ! »

                   Les vendeurs vous proposaient, dans de grandes bassines de matière plastique rouge ou bleues, des masses grouillantes de chenilles noires et velues. On avait vu ceux qui faisaient la cueillette en gaulant les branches des arbres le long des routes et des rues … Ma foi, je n’ai jamais voulu en manger, mais pourquoi les chenilles seraient-elles plus mauvaises que les criquets que je faisais griller, au Maroc, quand j’étais petit ? Et pourquoi, les chenilles seraient-elles plus mauvaises que les crevettes ? Un médecin français m’a dit qu’elles étaient « bourrées de vitamines » !

               Sur d’autres étals, on proposait du poisson qui venait de Pointe-Noire ou du fleuve Congo. Le poisson attirait les mouches encore plus que les chalands.

             Mon épouse défaillit un matin devant un éventaire qui proposait … des dépouilles de petits singes écorchés, dont on aurait pu croire qu’ils étaient des fœtus humains … Je crois qu’elle ne retourna jamais au marché de Potopoto. Elle prit l’habitude, pour faire ses provisions, d’aller en voiture à quelques kilomètres de la ville. Là, il yavait une exploitation maraîchère tenue par des Chinois … On voyait peu les Chinois, en ville, mais ils étaient là. On ne les voyait qu’à pied, et allant trois par trois : Deux pour servir de témoins au troisième, en cas d’incident.

              Des incidents, il y en avait et l’on m’avait prévenu : 

-« Si jamais tu as un accident de la route, surtout, ne t’arrête pas : Tu te ferais lyncher ! File le plus vite possible jusqu’au poste de police ». 

               Le poste de police … Le poste de police … On disait aussi qu’en cas de procès verbal, il n’y avait qu’à payer en petite monnaie ! En tout cas, la police ne retrouvait jamais les voitures ou les motos, ni les mobylettes volées : En moins d’un quart d’heure, elles étaient dépecées et les pièces détachées étaient dispersées et vendues aux quatre coins de la ville !

                    Mais je reviens aux Chinois … Lorsque mon épouse avait acheté quatre salades et deux kilos de haricots, peut-être aussi des carottes ou des patates douces, elle prenait le chemin du retour et se dirigeait vers la ville ... Ah bien ouiche ! … Il y avait des barrages, sur la route : Les miliciens, en tenue militaire, kalachnikov pointées, arrêtaient les voitures, se faisaient montrer « les papiers », inspectaient les intérieurs et … finissaient par vous laisser passer … à condition que vous leur donniez une partie de ce que vous transportiez ! Il arriva que mon épouse eut ses paniers vides en arrivant à la maison ! Ils étaient nombreux, les barrages routiers, les uns derrière les autres !

                 Le soir, c’était pire encore ! Des gamins de quinze ans surgissaient des fossés pour arrêter les voitures. Ils étaient munis d’une lampe électrique et demandaient 
           « les papiers !» 

           Parfois ils avaient si peur eux-mêmes qu’ils saisissaient votre carte d’identité en tremblant. D’une main, je tendais ma carte, de l’autre, j’écartais le canon de la mitraillette. Il arriva que partent des rafales et qu’elles fussent meurtrières. On pouvait couper court en offrant quelques billets.

          Diawara, les troupes gouvernementales finirent par l’avoir : Son corps fut exposé au milieu du stade de football…

    Je pourrais continuer longtemps à conter les joyeusetés de la République Populaire Socialiste et Scientifique du Congo. J’en ai conté quelques-unes ailleurs. 

       Dès que cela a été possible, je suis parti avec ma famille vers d’autres horizons. Je n’ai pas vu grand’chose du pays car nous étions consignés dans la ville. D’autre part, je n’ai guère de goût pour les petits groupes d’expatriés geignards ou « papoteurs » dans le genre de ceux qui fréquentaient les abords de la piscine du « club des Caïmans » de Brazzaville. Tout au plus pourrais-je rêver à des temps meilleurs, où l’on pourrait songer autour des baobabs et auprès des rapides du Congo … Devant l’hôtel Cosmos qui avait été notre premier lieu d’hébergement, le fleuve s’élargissait et charriait de véritables îles de jacinthes d’eau …

          L’un de nos amis entraînait l’équipe nationale de football du Congo. Il conduisait ses joueurs, à l’aube, dans la forêt, afin de recueillir dans les excréments des gorilles ou des chimpanzés, des prophéties relatives au match prochain … Ou bien il surveillait les bois des buts, sur le terrain : Si les pique-bœufs se perchaient sur une barre plutôt que sur l’autre, c’était l’équipe qui débuterait le match en jouant de ce côté qui gagnerait : On gonfle le moral de ses joueurs comme on peut !– Et il paraît que cela marchait ! Ô les charmes de l’Afrique !









« ON RACONTE ENCORE, SIRE, Ô ROI BIENHEUREUX, QUE L’ÉMIR MUSA FUT SAISI DE L’ÉMERVEILLEMENT LE PLUS VIF À LAVUE D’UNE FEMME AUSSI BELLE … »

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